Lettre ouverte envoyée aux députés du département de l’Hérault:
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Bonjour,
Nous nous réunissons à plusieurs associations Héraultaises pour vous exprimer nos inquiétudes concernant le projet de loi relatif au renseignement qui sera soumis à votre vote le 5 mai.
Cette loi a de nombreuses conséquences particulièrement néfastes concernant les libertés individuelles de toute la population française. Qui plus est, de très nombreux acteurs économiques ont fait part de leurs inquiétudes comme vous pouvez le constater sur cette pétition (http://ni-pigeons-ni-espions.fr/fr/).
Parmi nos nombreuses réserves à l’égard de ce texte, le fait même d’imposer une surveillance de masse et systématique de tous les citoyens nous interloque. Une collecte de tout échange, des correspondances, mais aussi des contenus consultés, ne semble pas compatible avec un état de droit démocratique.
La Loi prévoit d’exclure certaines professions de ce dispositif de boites noires, comme les élus, les médecins, journalistes et autres professions dont la confidentialité est une valeur fondamentale. Dans un premier temps cependant, le droit à la vie privée est garanti dans la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (art.7), la Convention Européenne des droits de l’homme (art. 8), la Déclaration Universelle des droits de l’homme (art. 12) et s’applique à tout citoyen indépendamment de sa profession. Il ne semble pas cohérent d’exempter un médecin si son patient peut voir son secret médical violé à l’autre bout de l’échange avec son traitant. Ensuite, les solutions techniques qui seront mises en place ne feront pas de différenciation. Il y aura donc bien intervention humaine pour trier les informations des gens épargnés par ce dispositif, ce qui ouvre la porte à la subjectivité et à l’arbitraire malgré ce qui a été prétendu lors des débats de l’Assemblée Nationale. En l’absence d’un dispositif de contrôle et de régulation clair, il ne s’agit que d’une question de temps avant qu’un tel pouvoir soit détourné à des fins politiques, commerciales voire personnelles.
De plus, aucun encadrement digne de ce nom n’est réellement prévu, ce qui non seulement ouvre la voie à une surveillance arbitraire, mais exclut également toute possibilité de recours, de contrôle ou même de contestation en cas d’abus ou de mauvaise appropriation d’un tel dispositif. Au vu des dérives comparables outre-atlantique, telles que révélées par Edward Snowden, il semble déraisonnable de reproduire les mêmes erreurs en signant un chèque en blanc au pouvoir exécutif.
Pour couronner le tout, dans le texte tel qu’il est soumis au vote, l’approbation par le juge de la légitimité des moyens d’enquête mis en œuvre a tout simplement été évincée, aggravant encore nos inquiétudes. Peu importe le contexte ou le dispositif concerné, il est impensable de contourner ce garde-fou, dont le rôle n’est aucunement détrimentaire à des moyens d’enquêtes légitimes.
Enfin, les terroristes, et autres criminels supposément visés par cette proposition, sont déjà familiers des technologies capables de déjouer les dispositifs décrits. D’autant plus que, celui-ci marquant beaucoup de comportements consciencieux légitimes comme suspects, les réels criminels seraient noyés dans une masse de faux-positifs, qui au final heurteraient les libertés fondamentales de citoyens honnêtes sans inquiéter les terroristes.
Au delà du texte en lui-même, nous avons relevé quelques propos qui nous ont interpellés, lors des débats sur ce texte.
Parmi beaucoup d’autres déclarations très controversées, Bernard Cazeneuve, Ministre de l’intérieur, a déclaré: «Si vous voyez un seul article qui remet la cause la liberté publique, dites-le moi. En revanche, il y a des articles qui remettent en cause la vie privée». Selon lui donc, la vie privée ne semble pas faire partie des libertés publiques, alors même que cette liberté est précisément garantie par l’art. 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, l’ art. 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’art. 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, la Convention relative aux droits de l’Enfant (art. 16) les principes de Jogjakarta (principe 6), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 17) et enfin par le Conseil Constitutionnel au travers de la déclaration suivante: «Considérant qu’aux termes de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : “Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression” ; que la liberté proclamée par cet article implique le respect de la vie privée.» (source: http://www.numerama.com/magazine/32794-pour-cazeneuve-la-vie-privee-n-est-pas-une-liberte.html)
Manuel Valls, Premier Ministre, a quant à lui dénigré le débat même sur l’importance du respect des libertés citoyennes, en déclarant: «Mais enfin écoutez face à la menace que nous connaissons, dans le monde particulièrement trouble dans lequel nous vivons (menaces terroristes, drames migratoires en Méditerranée, défis climatiques, défis économiques…), un pays comme le nôtre qui en plus s’est construit à travers un État fort mais qui garantit les libertés, doit se donner les moyens de lutter notamment contre le terrorisme. C’est quoi ce débat sur les libertés ?» De tels propos sont selon nous alarmants dans le pays des droits de l’homme, d’autant plus qu’ils laissent entendre qu’il serait normal dans un état de droit de suspendre toute notion de liberté au profit d’une promesse de sécurité au sujet de laquelle nous avons déjà fait part de nos réserves. Nous nous rappelons de la citation célèbre de Benjamin Franklin: «Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux.» (source: http://www.numerama.com/magazine/32888-valls-mais-c-est-quoi-ce-debat-sur-les-libertes.html)
Au vu de tels propos tenus en notre nom à l’Assemblée, nous sommes alertés de ne pas entendre plus de voix prendre la défense de nos droits, ou faire l’écho de nos inquiétudes. Lors des derniers votes par exemple, seuls 5 députés se sont opposés aux dispositifs de «boîtes noires», mis en échec par à peine 30 autres députés, sur une assemblée en comptant 577. Dans un tel contexte, chaque voix supplémentaire s’opposant pourrait être celle qui fera la différence le 5 mai, et chaque député défendant les intérêts de ses électeurs sera dûment noté.
Serait-il possible d’avoir une entrevue téléphonique, ou personnelle, afin de discuter plus amplement de ce sujet, d’obtenir votre position vis-à-vis de ce texte, ainsi que de vos motivations ?
Et surtout, nous vous demandons d’être présent à l’Assemblée Nationale au 5 mai, pour ce vote où vous aurez l’occasion de représenter les intérêts et les inquiétudes de vos électeurs.
Merci d’avoir pris le temps de nous lire, ainsi que de nous faire part de vos disponibilités au plus vite.
Signataires: